Alors, de nouveau, les pères.
Les pères, les fils.
L'histoire est toujours la même.
Lorsque les pères le décident,
Lorsque sonne l’heure,
L’histoire, ils l’écrivent,
Ils la font leur.
Faut qu’ils la signent,
Faut qu’elle se fasse comme ils l’écrivent,
Faut qu’elle s’écrive comme ils la font.
Au nom du père,
Au nom du fils.
Et en chemin,
Chemin faisant,
Il faut faire taire ceux-là.
Les fils et les filles.
Et ceux-là même qui jadis, avaient cru
Un temps,
Au temps présent,
Au temps non tu de leur histoire.
Mais que l’histoire puisse se faire,
Ou encore qu’elle puisse se taire,
L’histoire s’écrit comme elle s’écrit,
L’histoire s’écrit en sifflotant.
S’il fallait écrire l’histoire des pères,
Il faudrait écrire tout ce qu’elle n'est pas.
Il faudrait écrire tout ce qu'elle est :
L'histoire contre les poètes,
L'histoire contre les femmes,
L'histoire contre les filles,
L’histoire contre le peuple,
Contre celui qui désire,
Le mauvais fils,
Chemins de ronde à arpenter
Comme on arpente tous les chemins
Du fœtus jusqu’à la mère.
L’histoire est toujours le lieu du père.
Elle est toujours le lieu de la pratique d’être père.
Nos hommes tiennent leur rôle,
Le rôle que l’on jouait, hier encore,
Le rôle que tous jouaient,
Le rôle que l’on savait jouer,
Le rôle que les hommes tenaient hier,
Ici, à la même heure,
Eux qui savaient tenir,
Et qui tenaient si bien,
À l’église, à l'usine,
Au café,
Dans les dortoirs,
En prison, ici même,
Dans les prisons du déterminisme historique,
Geôliers, prisonniers, trafiquants d’armes,
La veille au soir, le matin même.
Chemins de croix.
Les pères, ils ont bon dos.
Ils ont les reins solides.
Les fils s’en vont,
Mais s’en reviennent pour tuer les pères.
Ils reviennent toujours, les fils prodigues,
Tuer les pères.
C’est la voie de l’apprentissage.
C’est la voie des affaires.
Nos hommes tiennent leur rôle,
Le beau rôle,
Et ce sont tous,
Maîtres et apprentis.
Père, Pater, Father,
Motherfucker,
À épater galerie.
Il n'y a pas de problème complexe.
Père et fils
N’ont jamais cessé de savoir ce qu’ils faisaient.
En toute innocence.
Ils n’ont jamais cessé de produire et de reproduire.
Ils n’ont jamais cessé de se reproduire eux-mêmes.
Innocemment.
Coupablement.
La guerre,
Faudrait-il encore la dire autrement.
Rien à entendre d’un chant littéraire.
Ce sont des hommes, ce sont des pères,
Ils sont des hommes aux chants qu'ils labourent,
Ils sont des hommes aux heures creuses,
Ils sont des hommes aux heures pleines,
Ils sont des hommes en pouvoir,
Ils sont des hommes déconstitués.
Au théâtre, dans la cour d'Honneur,
Côté jardin, une chaise toute seule.
Elle plie sous le poids des rires,
Elle plie sous le poids des pleurs,
Et l’on se plie en deux,
Et l’on se plie en quatre,
Union sacrée des gesticules,
À s’esquinter le dos rond,
À s’esquinter le dos voûté.
La chaise, elle, plie sous le poids
Du père pleureur.
Et ses pleurs sont des pleurs à vous couper le sifflet.
Le comédien quitte la scène.
Alors, côté cour,
Les fils et les filles,
Et toutes les vaches réunies,
En un troupeau,
En assemblée vacharde,
Les vaches en totalité,
Toutes marchent à sa suite,
Toutes marchent dans les pas de l’homme devant,
Toutes marchent dans les pas du père,
Toutes marchent en pagaille,
Mais d’un pas paternel.
Et toutes rient
D’un rire paternel,
Et sortent en riant.
C’est ici qu’on reprend l’histoire,
C’est ici que l’histoire reprend :
Au commencement étaient
Les larmes d'un homme qui pleure sur lui-même,
Au commencement étaient
Les larmes d'un père pleurant sur son triste sort.
Bruno Bisaro
Paris, 2016
L'intrépide Bruno Bisaro et autres poèmes
Ouvrage à paraître le 2 janvier 2026
Éditions Parole et Silence